En 1922, François POMPON est révélé au grand public après avoir présenté son Ours blanc au Salon d’Automne. Pour célébrer ce centenaire, la ville de Saulieu, dont il est originaire et le Musée Pompon ont décidé de mettre à l’honneur l’œuvre de Michel BASSOMPIERRE.
A cette occasion, de mai à fin septembre, des sculptures monumentales seront présentées dans la ville, au Relais Bernard Loiseau ainsi qu’au Musée Pompon. Ce dernier accueillera également une exposition regroupant une vingtaine de marbres et de bronzes, des dessins et des croquis.
Si les deux sculpteurs sont connus pour leurs ours, ils partagent bien d'autres points communs comme leur fascination pour l'animal ou la suppression des détails. Mais à partir de cette base commune, ils ont chacun développé des styles très différents, avec une approche unique de la sculpture...
Lors de l'exposition "Ours Brun" au Musée François Pompon de Saulieu en 2015
Le même sens de l’observation et une fascination commune pour l’animal
S’ils ont réalisé quelques figures humaines, POMPON et BASSOMPIERRE ont consacré l’essentiel de leurs travaux aux animaux.
Ces animaux, ils ont appris à les représenter lors de leurs études. Après être passé par les Beaux-Arts de Dijon, POMPON poursuit son cursus à la « Petite École » (ancienne appellation de l’École nationale des arts décoratifs). L’un de ses professeurs, Pierre ROUILLARD, l’un des grands animaliers de l’époque, dont on peut voir Le Cheval à la Herse devant le Musée d’Orsay, l’incite à aller s’exercer à la Ménagerie du Jardin des Plantes de Paris. Équipé d’un petit établi portatif qu’il s’est créé, POMPON modèle en direct la terre glaise.
Séance de croquis au Parc zoologique de la Boissière du Doré
Le Jardin des Plantes est un lieu que BASSOMPIERRE connaît bien. Enfant, pendant que son père géologue allait rendre visite à un ami paléoanthropologue au Muséum national d’Histoire naturelle, il allait observer les squelettes dans la Grande Galerie de l’Évolution puis courait rendre visite aux animaux en chair et en os à la Ménagerie. La tête pleine de tout ce qu’il venait de découvrir, le petit garçon passait ensuite des heures à dessiner et sculpter « ses jouets ». Des années plus tard, aux Beaux-Arts de Rouen, il s’est également entraîné à la ménagerie du Cirque d’hiver. L’objectif était de réussir à capter l’essence de l’animal en très peu de temps, puisque contrairement au modèle humain, celui-ci ne prend pas la pose !
Des détails éliminés et des animaux paisibles
Ce qui singularise les deux sculpteurs, c’est la suppression systématique du détail et de l’accessoire. Ainsi, poils et griffes ne sont jamais représentées. « Je fais l’animal avec presque tous ses falbalas » explique POMPON « et puis, petit à petit, j’élimine de façon à ne plus conserver que ce qui est indispensable. »
Observation d'œuvres de POMPON au Musée des Arts de Nantes
Cette technique permet aux deux grands maîtres de mieux traduire le volume et le mouvement. Ils ont la faculté de capter l'essence de l'animal, sa personnalité, pour en restituer à la fois la puissance et la douceur.
Comme le souligne Alain Jaubert dans son documentaire « La Beauté animale », « Le visage d’Orang Outang sculpté par François POMPON dans le marbre noir en 1930 est un véritable portrait. Celui d’un individu doté d’un regard et d’une personnalité. » L’animal n’est plus alors un objet décoratif, mais un sujet à part entière.
Contrairement à la plupart de leurs contemporains, ils sculptent des animaux sereins. A l’époque de POMPON, les animaux sont scénarisés dans des situations souvent violentes ou dramatiques, comme des parties de chasse, des animaux pris au piège ou menaçants envers l’homme, comme dans la sculpture Gorille enlevant une femme de FREMIET (1859). La sortie de King Kong en 1933 a prolongé cette fascination/répulsion pour le gorille qui est encore souvent de nos jours représenté en situation d’attaque et de toute puissance, bien loin de l’image qu’en donne BASSOMPIERRE. De ses Dominants et de ses Dos Argentés ressort de la puissance et de la majesté, mais jamais d’agressivité. « Je représente un autre moi-même, mon frère animal » explique-t-il.
Leurs animaux semblent « capturés » dans leur quotidien, pris sur le vif. Ici, l’homme ne se fait plus acteur mais spectateur de l’intime, comme devant la « Panthère dressée » de POMPON ou la série du Miel de BASSOMPIERRE, où un ours se lèche la patte en toute tranquillité.
Des approches différentes de la sculpture animalière
Si leur démarche est similaire, les deux sculpteurs ont développé des styles très différents.
« C’est le mouvement qui détermine la forme, ce que j’ai essayé de rendre, c’est le sens du mouvement » explique POMPON. « C’est de loin qu’il faut observer un animal, de près vous ne voyez que le détail inutile. A distance, le sujet prend sa véritable signification. Les grands rapports vous apparaissent alors. Mais il faut encore simplifier, faire les artifices nécessaires et déformer pour rendre expressif. »
Si POMPON est amené parfois à synthétiser les animaux qu’il représente, BASSOMPIERRE va quant à lui jouer sur la rondeur. Pour lui, la forme parfaite est l’œuf. Il fait en sorte que jamais dans ses œuvres l’ombre ne vienne heurter la lumière. Mais pour que cette rondeur ne devienne pas « molle », il faut selon lui que l’anatomie soit parfaitement maîtrisée. Ainsi, contrairement à POMPON, il observe ses sujets de près. "Je veux comprendre comment l'animal s'articule" précise-t-il. Pour y parvenir, il observe les squelettes et étudie la mécanique interne, osseuse et musculaire.
Un autre point différencie les deux hommes. Alors que POMPON a réalisé de multiples versions de son Ours blanc, cherchant sans cesse à l’améliorer, BASSOMPIERRE va plutôt réaliser des dizaines de fois le même animal, mais dans des attitudes différentes.
« Retravaillant ses œuvres jusqu’à l’obsession, POMPON se singularise par les innombrables versions qu’il livre d’un même modèle, le modifiant inlassablement pour apporter des changements subtils afin de simplifier la forme dans l’espace (…). Pour la seule version [de son Ours blanc] en 45 cm, il existe ainsi treize répliques en marbre, douze en pierre et une quarantaine en bronze, presque toutes différentes les unes des autres » révèle Liliane COLAS, spécialiste du sculpteur, dans l’ouvrage François POMPON 1855-1933 publié aux éditions FATON.
BASSOMPIERRE, quant à lui, a ses animaux de prédilection, toujours aux formes rondes, comme les ours, les gorilles, les éléphants d’Asie ou encore les chevaux de trait. De ces quelques sujets, il a tiré des centaines d’œuvres, toutes dans des positions ou des attitudes différentes, afin de « capter tout ce que l’animal peut être ». Les titres de ses œuvres en sont les témoins, comme dans la série « Les Saumons », avec ses ours prêts à attraper au passage les poissons remontant les rivières, ou chez « Le Campagnol », cet autre ursidé en boule qui regarde le rongeur lui filer entre les pattes.
Un trait commun : l’humilité
Outre leur incroyable talent, les deux hommes partagent une vertu : l’humilité.
Tous les deux discrets, ils n’ont jamais cherché à briller en société, préférant le calme de leur atelier et trouvant refuge dans le travail.
« C’est à la fin d’une vie qu’on peut considérer devant l’ampleur du travail, qu’un individu était peut-être un artiste, qu’il va laisser une œuvre. C’est l’œuvre qui est la publicité de l’artiste, et non l’inverse » souligne BASSOMPIERRE.
Ce dernier n’a pas cherché à s’inspirer de son illustre prédécesseur. Ne souhaitant pas qu’on le taxe de plagieur, il s’est d’ailleurs interdit de réaliser des ours blancs jusqu’à ses 70 ans. « J’ai attendu de bien maîtriser la forme de l’ours brun avant de m’amuser à mon tour avec l’ours blanc » précise-t-il.
Grâce au style bien affirmé des deux hommes, un œil averti peut aujourd’hui affirmer sans ambages : cet ours est de POMPON, celui-ci de BASSOMPIERRE. Les visiteurs de Saulieu auront la chance dans les semaines qui viennent de pouvoir les apprécier ensemble.
BASSOMPIERRE et Saulieu, une histoire de cœur
Depuis 2015, BASSOMPIERRE est un familier de la ville de POMPON. Cette année là, de septembre à décembre, il expose aux côtés de Julianne Salmon ses ours bruns.
L'année suivante, ce sont ses gorilles qui sont à l'honneur, avec l'exposition "I have a dream" sur les grands singes, avec Laurence SAUNOIS.
Le mot de Martine MAZILLY, Maire de Saulieu et de Marie-Claude OVERNEY, Adjointe à la Culture
Inviter Michel BASSOMPIERRE, pour célébrer le centenaire de l’Ours blanc de François POMPON, sonne comme une évidence… La présence des œuvres de ce sculpteur contemporain, au musée et à ciel ouvert dans la ville de Saulieu, révèle les points communs que partagent ces deux artistes animaliers, même s’ils ont développé chacun des styles différents. Croiser leur regard sur la beauté animale, c’est montrer qu’en se concentrant sur
l’essentiel des formes, ils soulignent avec élégance l’essence même d’un fauve, la douceur des courbes et des postures, la lumière qui glisse sur les muscles puissants.
POMPON - BASSOMPIERRE, tout les unit : la technique et l’expertise des modeleurs et tailleurs de pierre, ainsi que l’humilité et la bienveillance des grands hommes, que l’on devine au fond des yeux. Cette fusion artistique et humaine fait de cette exposition, à n’en pas douter, l’union sacrée des Grands Maîtres.
Le mot de Laurence JOIGNEREZ, Directrice du Musée François POMPON
La Ville de Saulieu commémore cette année le centenaire de l’Ours blanc de François POMPON (1855-1933). C’est en effet en 1922 que l’artiste sédélocien présente cette sculpture au Salon d’Automne à Paris. Devenue mythique et populaire, cette oeuvre suscite un engouement qui lui ouvre les portes de la célébrité et donne un second souffle à sa carrière. L’artiste est alors considéré comme l’un des meilleurs animaliers de son temps, apportant à la sculpture du XXe siècle une vision nouvelle et moderne qui a ouvert la voie à
de nombreux artistes.
Pour célébrer ce centenaire, la ville de Saulieu et le Musée François POMPON présentent, de mai à septembre, plusieurs sculptures de Michel BASSOMPIERRE : six ours monumentaux installés en plein air viendront compléter l’exposition du musée. Une occasion unique pour voir que ces deux artistes, animés d’une même fascination pour le monde animal et les formes épurées, développent un style qui leur est propre, même s’ils posent
tous deux un regard tendre sur leurs modèles."On ne peut pas parler de l’artiste, sans parler de l’homme… l’homme et son rapport au respect de la vie et à l’animal.
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